Le philosophe moraliste dont la pensée a le plus fait avancer la cause animale au cours des cinquante dernières années est sans aucun doute Peter Singer. Ce penseur australien a publié en 1975 le livre révolutionnaire « Animal Liberation » et a influencé des générations de personnes dans le monde entier. Quiconque lit les livres de Singer, dans lesquels il explique en détail que les animaux sont des êtres sensibles, ne peut s'empêcher de changer son attitude à l'égard des animaux. Peter Singer est également une source d'inspiration pour Michel Vandenbosch, président de GAIA, et Ann De Greef, directrice générale de GAIA. Nous l’avons rencontré.
Pensez-vous que le monde est devenu un meilleur endroit pour les animaux depuis la publication de votre célèbre livre « Animal Liberation » en 1975 ?
Malheureusement, dans l'ensemble, la souffrance animale est plus importante dans le monde aujourd'hui qu'en 1975, malgré certaines améliorations telles que les lois de l'UE et de certaines autres régions interdisant les cages en batterie ainsi que les stalles individuelles pour les truies et les veaux de boucherie. Cela est dû en partie à l'énorme croissance de l'élevage intensif en Chine, où il n'existe toujours pas de législation nationale pour protéger le bien-être des animaux d'élevage. L'énorme croissance de la pisciculture intensive est une autre raison de mon opinion négative. En 1975, relativement peu de poissons étaient enfermés dans des filets ou des cages pour être élevés, tués et mangés. Aujourd'hui, on élève plus de poissons que l'ensemble des poulets, vaches, porcs et autres vertébrés terrestres.
De quelle manière, ou dans quelle mesure, avons-nous progressé dans la reconnaissance des intérêts des animaux, malgré votre jugement négatif ?
Cela dépend de la partie du monde où vous vous trouvez et des animaux qui vous préoccupent. Comme je l'ai dit, des progrès considérables ont été réalisés en matière de droits des animaux dans l'Union européenne, et des avancées ont également été enregistrées dans certains autres pays occidentaux. Il est également beaucoup plus courant qu'auparavant de manger végétalien, ou du moins de consommer moins de produits d’origine animale. Et c'est une très bonne chose qu'il existe aujourd'hui une si grande variété de produits d'origine végétale qui répondent aux préférences gustatives des personnes qui aiment la viande. Malheureusement, l'Asie, l'Afrique ou l'Amérique latine ont fait beaucoup moins de progrès dans ce domaine.
Quels sont les plus grands défis auxquels les organisations de défense des animaux sont confrontées aujourd'hui. Et quels seront-ils à l'avenir ?
Nous devons soit réduire considérablement la demande de consommation de produits d'origine animale, soit veiller à ce que ces produits soient fabriqués d'une manière qui tienne également compte des intérêts des animaux. Mais nous ne savons pas encore dans quelle mesures ces deux aspects peuvent être conciliés.
Plusieurs États membres de l'UE ont introduit une interdiction des élevages d'animaux à fourrure et de grandes maisons de mode telles que Gucci, Armani et Versace ont décidé de ne plus travailler avec de la fourrure. Cela montre que cette industrie est en déclin, grâce à une alliance mondiale appelée Fur Free Alliance, représentée en Belgique par GAIA. N'est-ce pas la preuve que notre mouvement peut réaliser de grands changements ? Mais… que cela prend du temps. Beaucoup de temps…
La campagne contre la fourrure est un grand succès pour le mouvement de défense des animaux, qui sauve des millions d'animaux d'une souffrance et d'une misère indicibles. Cela montre qu'avec beaucoup de travail et au fil du temps, nous pouvons apporter des changements significatifs, et c'est encourageant. La lutte pour changer ce que nous mangeons sera encore plus difficile que la lutte pour changer ce que nous portons. Mais tout est possible.
Quelle est l'action la plus efficace que les gens peuvent entreprendre eux-mêmes pour prendre réellement en compte l'intérêt des animaux ?
Premier pas : réfléchir à ce que l'on mange, et à sa provenance. Ensuite, être un citoyen actif, en travaillant pour faire évoluer les lois et les règlements dans l'intérêt des animaux.
Quels changements en faveur des animaux non humains pensez-vous voir se concrétiser au cours de la prochaine décennie ou, disons, d'ici 2050 ? Et les progrès réalisés jusqu'à présent vous rendent-ils plutôt optimiste ou pessimiste quant aux éventuels changements futurs en faveur des intérêts des animaux ?
J'espère voir davantage de personnes passer à un régime à base de plantes, mais je ne peux pas prédire ce qui se passera en Chine. Peut-être que de nouveaux produits végétaux ou que la viande cultivée réduiront la demande d'élevage industriel en Chine, ou que le mouvement en faveur des animaux s'y développera. J'espère que le progrès se répandra progressivement dans le monde.
GAIA et Eurogroup for Animals ont récemment organisé le tout premier symposium à Bruxelles sur "L'évolution de l'alimentation : vers une technologie durable et sans animaux". Comment voyez-vous l'évolution de la consommation et de la production alimentaire ?
Je vois cela de manière positive et, comme je l'ai mentionné plus haut, j'espère que davantage de personnes passeront à un régime à base de plantes et que les nouveaux produits à base de plantes permettront de réduire la production industrielle de viande en Chine, par exemple.
Que pensez-vous du travail accompli par GAIA depuis 1992 ?
GAIA a joué un rôle important, non seulement en Belgique mais aussi en Europe, en diffusant l'idée que le spécisme est une erreur, et que la douleur est une douleur, qu'il s'agisse de la douleur d'un être humain ou d'un animal non humain. GAIA a également joué un rôle déterminant dans l'adoption de règles européennes qui ont amélioré la vie de centaines de millions d'êtres sensibles. En Belgique, elle a apporté des améliorations spécifiques aux lois et règlements pour un meilleur traitement des animaux.
Il y a 30 ans, GAIA organisait la toute première conférence belge sur l'éthique et la lutte pour la libération des animaux. Elle s’était tenue à Bruxelles à la Maison d'Erasme. L’invité d’honneur était un certain… Peter Singer. Parmi les deux cents personnes qui ont assisté à la conférence figuraient certains des plus grands philosophes et hommes politiques de Belgique. Ils ont entendu le philosophe sans doute le plus influent de notre époque, qui se trouvait au berceau du mouvement moderne en faveur des animaux, expliquer ce que sont la libération des animaux, le spécisme et l'égalité de considération. Cela dit, êtes-vous conscient du fait que vous avez inspiré les fondateurs de GAIA, Ann De Greef et Michel Vandenbosch, et que sans Peter Singer, GAIA n'aurait très probablement jamais existé et ne serait pas devenue l'organisation de protection animale la plus importante et la plus influente de Belgique ? Vous pouvez donc à juste titre vous considérer comme le père philosophique de GAIA.
Merci de m'avoir rappelé le rôle que mon travail a joué en inspirant les fondateurs de GAIA à accomplir leur remarquable travail pour les animaux. C'est agréable de savoir que je vous ai aidé à faire démarrer l'organisation sur de bonnes bases. Je suis bien sûr heureux d'avoir eu cette influence positive.
Avez-vous des pensées inspirantes ou de bons conseils à donner à GAIA à l'occasion de notre 30ème anniversaire ?
Maintenez le principe éthique sain d'une considération égale pour les intérêts de tous les animaux ! Et puisse GAIA obtenir encore plus de soutien afin de devenir un défenseur encore plus fort de tous les animaux.