Après plusieurs années d’un engagement forcené aux côtés d’associations militant pour les droits des animaux, la journaliste française, Audrey Jougla, nous livre un récit sans concession sur l’enfer vécu par les animaux de laboratoire. Au risque de se mettre en danger, elle nous embarque en caméra cachée dans les sous-sols interdits des laboratoires publics et privés où se cache une réalité obscure : celle de l’expérimentation animale. Dans ces lieux surprotégés, se pratique une violence quotidienne et systématique souvent ignorée du grand public. Entretien.
Les abattoirs sont difficiles à infiltrer. Vous dites que c’est encore plus difficile pour les laboratoires. Pourquoi ? Qu’y avez vous découvert ?
Il est très difficile de rentrer dans les laboratoires d’abord parce qu’il faut un brevet d’expérimentation animale pour pouvoir y travailler, et ensuite parce que le milieu de la recherche est très protégé et extrêmement sécurisé.
On y découvre des animaux en grande souffrance, et ce paradoxe aberrant : prétendre respecter le bien-être animal alors que les animaux sont là pour être avant tout du matériel de laboratoire. Leurs conditions de vie sont carcérales, confinées, et les animaleries sont très bruyantes. Ils sont ensuite atteints de pathologies, parfois très lourdes (physiques ou psychologiques), et sont majoritairement euthanasiés. L’image des animaux de laboratoire en bonne santé, avec le poil brillant et l’œil vif est complètement illusoire. De même que les animaux de laboratoire rescapés proposés à l’adoption ne constitue que moins de 1% des animaux, et font partie de ceux qui n’ont subi aucune expérience invasive. Mais les laboratoires s’en servent largement pour redorer leur image.
Pourquoi avez-vous fait cette investigation ? Pensez-vous que la société sous estime l’étendue de leur application ? Ou y a t-il d’autres raisons ?
J’ai milité activement auparavant, et je voulais savoir si le discours des associations était fidèle à la réalité ou non et quelle était-elle. Je tenais à parler avec ceux qui pratiquent ces expériences, car cela faisait partie d’un des mythes que je voulais questionner : comment justifie-t-on ces pratiques violentes ? Comment vit-on avec cette souffrance que l’on inflige quotidiennement ?
Quelles expériences les plus troublantes avez vous constaté lors de votre enquête ?
Il est difficile d’établir ce genre de hiérarchie... Ce serait considérer que certains animaux ont plus de valeur que d’autres, et c’est pourquoi je refuse de faire une « échelle du pire ». Les conditions de vie des primates m’ont beaucoup perturbée : un singe vit dix à douze ans en cage, sans voir la lumière du jour, et n’en sort que pour les expériences. Quand on connaît les aptitudes de ces animaux, leurs besoins d’espace, de relations sociales, on ne peut qu’être révolté. Comment peut-on leur infliger ce qui s’apparenterait pour nous à une peine à perpétuité ? Mais le sort des rongeurs utilisés pour les expériences de toxicité, sur la peau ou les yeux, n’est guère plus enviable.
Vous mettez en parallèle discours émotionnel et discours scientifique. Pensez vous que le discours émotionnel peut-il être aussi crédible que le discours scientifique ?
L’expertise scientifique est d’emblée jugée crédible et fait autorité dans notre société, il y a un messianisme scientifique, alors que le discours émotionnel est immédiatement disqualifié lorsqu’il provient des défenseurs des animaux. En revanche, la communauté scientifique n’hésite pas à l’employer lorsqu’il faut appel à la générosité des donateurs, comme c’est le cas lors du Téléthon (équivalent français du Télévie, ndlr), ou simplement en résumant le débat sur l’expérimentation animale à devoir préférer l’animal à l’enfant malade, alors qu’il ne s’agit pas de cela. C’est en fait accorder directement du crédit à ceux qui savent, par opposition aux ignorants, dont tout un chacun ferait partie.
Pourtant, sur ce sujet, le discours scientifique n’est pas neutre : il est au contraire juge et partie. Et ignorer le discours émotionnel de la cause animale c’est aussi ignorer toute l’empathie humaine dont nous devons faire preuve à l’égard des êtres qui sont vulnérables. Au contraire du point de vue scientifique, questionnons quels intérêts peut-on avoir à défendre les animaux ? Aucun. Ne serait-ce que pour cette raison, les deux discours doivent être entendus.
« Il y a dans le monde scientifique une certaine aversion au changement »
La loi belge prévoit depuis 2009 déjà la création d’un Centre belge des méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Mais celui-ci n’a toujours pas vu le jour. Avez-vous senti des réticences à l’égard de ces alternatives ?
Créer un centre de recherche dédié aux méthodes alternatives me paraît essentiel : comment peut-on sans cesse dire qu’il n’y a pas assez d’alternatives, si celles-ci ne sont jamais encouragées, ni financièrement, ni administrativement ? Parmi les réticences il y a une certaine aversion au changement : on ne change pas un protocole qui marche. Ensuite, il y a la question des modèles utilisés pour les protocoles. Ce n’est un secret pour personne dans la recherche : en fonction de la lignée de souris utilisée pour un protocole, on influe sur le résultat. Les comités scientifiques Pro-Anima et Antidote Europe expliquent qu’avec les méthodes sans animaux, il n’y aurait plus cette marge de manœuvre, justement. Enfin, remettre en question l’expérimentation animale c’est remettre en question une vision de la science telle qu’elle se pratique en occident. Or on sous-estime le poids de cette vision, qui est constitutive de notre médecine, où le scientifique s’arroge le droit de disséquer, d’expérimenter sur le vivant, en tant que « maître et possesseur de la nature », et où il n’y a pas de place pour de la « sensiblerie ». Quelque part, on touche à l’aura de la science et à son piédestal, dans l’imaginaire collectif. C’est une raison plus sociétale que scientifique.
GAIA a eu l’idée d’instaurer une taxe pour les entreprises et institutions scientifiques ayant recours à des tests sur les animaux pour qu’ils payent une somme d’argent pour chaque animal qu’elles possèdent et sur lesquels elles effectuent des tests. Soutenez-vous cette idée ?
Totalement. En économie, les taxes et les subventions sont des outils qui permettent de redresser des situations et instaurer un certain contrôle : c’est une manière de réinjecter de l’éthique de manière forcée. L’idée de taxer les pollueurs est similaire : il s’agit de forcer un comportement par l’économie. C’est une manière de rendre palpable le mal subi par les animaux. De même que les marques (parfums, cosmétiques, produits ménagers, transporteurs aériens d’animaux vers les laboratoires) qui contribuent aux expériences sur les animaux, doivent en pâtir dans leur image de marque, de même l’idée d’une taxe est une conséquence très concrète et un frein.
N’avez vous pas l’impression que le monde politique et les communautés scientifiques se servent du discours des alternatives pour maintenir le statut quo ?
Je pense surtout qu’ils se servent de l’ignorance du grand public sur ce sujet pour l’effrayer. Ils agitent le manque d’alternatives aux animaux comme un épouvantail, que l’on pourrait résumer comme : « attention, à cause des intégristes de la cause animale, votre santé va être menacée et vous n’aurez plus de médicaments ! ». Avouons que c’est effrayant. C’est une stratégie pour éviter tout débat, et surtout positionner les scientifiques comme seuls juges possibles sur ce sujet. De même, lorsque vous dénoncez l’expérimentation animale, on se focalise systématiquement sur les protocoles de maladies pour lesquels des alternatives aux animaux n’existent pas encore. J’aimerais tellement qu’on en soit à ce stade et que toutes les alternatives existantes soient déjà utilisées, que plus aucune expérience redondante n’existe, que plus aucune visée commerciale ne commandite de la souffrance animale... C’est un peu la même rhétorique que lorsqu’on demande à un végétarien s’il mangerait son chien sur une île déserte. La réponse est la même : cette question ne se pose pas pour le moment. En revanche, nous pouvons considérablement améliorer la situation pour le moment. C’est ce qu’il faut prôner lors de la révision en 2017 de la Directive européenne.